Du Contrat Social, Rousseau : l'objet de la réflexion

Modifié par Estelledurand

Le vrai contrat social, selon Rousseau, devrait fonder un État véritablement juste, qui vise la liberté et l'égalité du peuple des citoyens dans la loi. L'État dans toute sa puissance ne doit plus se borner à être le seul instrument des intérêts particuliers égoïstes qui constituent une société individualiste, bourgeoise, comme chez Hobbes.

Il faut bien prendre garde que Du Contrat Social de Rousseau a pour sous-titre, "Principes du droit politique". Il s'agit de définir des "principes" universels, valables pour tous les cas possibles, et non de l'application de ces principes à quelque État ou société politique concrète. Il s'agit de "droit politique", non pas de simple pratique politique de gouvernement, ni d'une partie du droit, civil ou pénal, mais du droit qui doit définir la formation et le fonctionnement de l'ensemble de la société ou du corps politique, de l'État. Le philosophe introduit ici le sujet dont il va traiter :  


Extrait : 

Je veux chercher si dans l’ordre civil il peut y avoir quelque règle d’administration légitime et sûre, en prenant les hommes tels qu’ils sont, et les lois telles qu’elles peuvent être : Je tâcherai d’allier toujours dans cette recherche ce que le droit permet avec ce que l’intérêt prescrit, afin que la justice et l’utilité ne se trouvent point divisées.

J’entre en matière sans prouver l’importance de mon sujet. On me demandera si je suis prince ou législateur pour écrire sur la Politique ? Je réponds que non, et que c’est pour cela que j’écris sur la Politique. Si j’étais prince ou législateur, je ne perdrais pas mon temps à dire ce qu’il faut faire ; je le ferais, ou je me tairais.

Né citoyen d’un État libre, et membre du souverain, quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d’y voter suffit pour m’imposer le devoir de m’en instruire. Heureux, toutes les fois que je médite sur les Gouvernements, de trouver toujours dans mes recherches de nouvelles raisons d’aimer celui de mon pays !

Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat Social, Livre I, (1762), Classiques Garnier, Paris, 1989, p. 249-250.


Questions :

1. Dressez le plan du texte, et synthétisez :

a) Quel est le projet ici annoncé ?

b) En quoi est-il nécessaire ?

c) En quoi son étude est-elle importante ?

d) Et quelle est la qualification de l'auteur pour traiter ce sujet ?

Vos réponses vous serviront de premiers éléments sur ces différents points avant de les traiter de façon plus approfondie dans les questions suivantes.

2. "Je veux chercher si dans l’ordre civil il peut y avoir quelque règle d’administration légitime et sûre" : il faut d'abord expliquer pourquoi est-ce que dans "l'ordre civil", c'est-à-dire dans des rapports sociaux régis par des lois, la possibilité de trouver et faire exister "quelque règle d'administration légitime et sûre" reste encore à chercher :

a) quel jugement ce projet de recherche implique-t-il sur la façon dont les sociétés humaines ont été régies jusqu'ici par des lois ?

b) peut-on compter, dans l'histoire passée ou présente de l'humanité, sur des modèles qui existent ou qui ont existé pour y trouver un ordre civil pourvu de bonnes règles d'administration, c'est-à-dire les bonnes lois ? Justifiez votre réponse.

c) Il faut prêter attention à la notion de l'"ordre civil" en raison de la polysémie de la notion d'ordre ; entend-on par ordre civil :

  • un commandement où la société se régit elle-même par des lois, plutôt que par la soumission à un chef  ?
  • un arrangement qui met en ordre la société par des lois et la sort de relations violentes chaotiques ?
  • un niveau d'existence propre à l'humanité en société sous des lois, distinct de niveaux d'existence de l'humanité sans lois (barbarie) ou sans société (sauvagerie) ?

d) Les avantages d'un ordre civil ainsi triplement conçu peuvent-ils en faire un but désirable que l'humanité doit chercher à atteindre dans son histoire ?

e) Peut-on considérer que ce but est encore lointain ou qu'il est atteint, mais encore imparfaitement ? Justifiez votre réponse.

f) À quelles conditions une loi peut-elle être reçue comme légitime par ceux qui doivent y obéir, et à quelles condition un système de loi peut-il être sûr, stable et sans abus de pouvoir, et pourquoi ces deux exigences de "justice" et "d'utilité" ne sont-elles pas si faciles à concilier ? Pour répondre :

  • Développez d'abord, en un paragraphe, un exemple de lois légitimes pour les membres d'une société, mais sans stabilité, et avec des dérives possibles vers la tyrannie ;
  • puis un exemple au contraire de régime sûr, mais qui manque de légitimité en respectant pas la liberté naturelle de l'être humain ;
  • développez enfin un paragraphe qui conçoit un modèle de législation à la fois sûr et légitime.

3. En "prenant les hommes tels qu'ils sont et les lois telles qu'elles peuvent être" :

a) pourquoi, pour trouver les "principes du droit politique", ne peut-on partir de "principes du droit naturel" ? Pour répondre, utilisez les éléments que vous avez déjà travaillés dans les perles précédentes concernant la conception rousseauiste de l'homme à l'état de nature.

b) Pourquoi "les hommes tels qu'ils sont", tels qu'ils vivent en société, avec le développement de leurs intérêts et de leurs passions, ne sont-ils pas si faciles à gouverner par des lois ?

c) Que faudrait-il que les lois leur garantissent pour qu'ils puissent les accepter comme légitimes ? 

d) "et les lois telles qu'elles peuvent être" :

  • Contre que risque de confusion, au sujet de l'idée de "droit politique", Rousseau cherche-t-il ici à prémunir son lecteur ?
  • Pourquoi ne peut-on simplement tirer ce qui doit être, les meilleures lois possibles, de ce qui est, les lois telles qu'elles existent en fait ?

4. "J'entre en matière sans prouver l'importance de mon sujet" : pourquoi s'agit-il en effet d'un sujet de première importance, à toute époque, et pour toute l'humanité ?

5. "Né citoyen d’un État libre, et membre du souverain, quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d’y voter suffit pour m’imposer le devoir de m’en instruire. Heureux, toutes les fois que je médite sur les Gouvernements, de trouver toujours dans mes recherches de nouvelles raisons d’aimer celui de mon pays !"

a) Faites une recherche rapide sur la vie de Rousseau : de quel État libre parle-t-il, et en quoi cette expérience de citoyen d'un tel État, quand il médite sur d'autres Gouvernements, passés et surtout présents, lui fait-il aimer plutôt celui de son pays ?

b) Définissez la différence entre un simple sujet du gouvernement et de la loi, et un citoyen : quelle expérience active du gouvernement et de la législation Rousseau peut-il effectivement revendiquer en tant que citoyen ?

6. "Si j’étais prince ou législateur, je ne perdrais pas mon temps à dire ce qu’il faut faire ; je le ferais, ou je me tairais."

a) Du point de vue du rapport entre la théorie et la pratique, quelle est l'objection que l'on pourrait adresser au projet d'établir des principes du droit politique ? 

  • Servez-vous pour votre réponse de la référence d'un côté à la République de Platon et son projet de Cité idéale, comme de l'autre côté, de la référence au Prince de Machiavel, fort de son expérience réelle d'administration de la cité de Florence, et montrez en quoi le projet du Contrat Social diffère de ces deux projets, en "prenant les hommes tels qu'ils sont et les lois telles qu'elles peuvent être".
  • Pour cela construisez cette comparaison en quatre paragraphes :

- le premier avec la présentation du projet de Rousseau et l'objection que l'on pourrait lui adresser ;

- le deuxième qui compare le projet de Rousseau avec celui de Platon ;

- le troisième qui le compare avec le projet de Machiavel ;

- le quatrième qui conçoit comment cette double comparaison permet de répondre à l'objection de départ.

b) Comment l'objection que l'on pourrait faire à  Rousseau est-elle renversée par lui : en vous aidant des réponses de la question 4. expliquez en quoi il pourrait être le mieux placé pour théoriser ce que doivent être le gouvernement et la législation d'une société ?


Sujet de réflexion : 

Et vous, si vous y pensez, qu'est-ce qui vous donnerait la légitimité d'écrire sur la politique ?

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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